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Quand l’art bascule à Marseille: «Tipping Point», un voyage au cœur de l’inquiétude contemporaine

07/07/2025
L'exposition "Tipping Point" lors de l'ouverture à la Friche de la Belle de Mai (Marseille)
L'exposition "Tipping Point" lors de l'ouverture à la Friche de la Belle de Mai (Marseille) © E. Meunier - WBI

Une exposition à la mesure des enjeux actuels

Sous la lumière encore chaude, le béton de l’ancienne manufacture de tabac vibre d’effervescence. Dans l’espace, au sol, sur les murs ou sur écrans de la Friche la Belle de Mai à Marseille, les œuvres s’imposent sans chercher à plaire mais à déranger. Elles racontent un monde qui tangue.

Ici, dix artistes belges et deux artistes marseillaises se sont donné.e.s rendez-vous pour l’exposition Tipping Point. Le titre sonne comme une alerte : il évoque ce seuil critique où un système bascule irrémédiablement. Une thématique qui s’est imposée naturellement aux curateurs Grégory Thirion (Botanique) et Adrien Grimmeau (ISELP), les deux structures bruxelloises à l’initiative de l’exposition. 

Dans un monde saisi par l’urgence et la mutation, l'exposition explore le « point de bascule » qui caractérise notre époque, entre effondrement et renouveau : « Nous avons sélectionné les artistes de façon intuitive, puis nous avons constaté que l’inquiétude se matérialisait dans toutes les œuvres, souvent très physiques, que ce soit dans le matériau concret ou le numérique. Cette inquiétude résonne avec notre société, qui semble à un tournant », expliquent-ils. 

À travers ce panorama d’œuvres souvent immersives, Tipping Point révèle une inquiétude partagée face à la crise écologique, la mutation numérique et la perte de repères communs. Mais elle propose aussi des pistes pour penser de nouvelles façons d’habiter le monde. En capturant ce moment charnière, les artistes nous invitent à questionner nos certitudes et à imaginer des alternatives.

 

Des récits de notre basculement

Les pièces présentées, d’une grande diversité, incarnent chacune à leur manière ce moment de basculement.

Sabrina Montiel-Soto, artiste vénézuélienne basée à Bruxelles, propose un film expérimental, Tierra Infinita, qui mêle des cultures disparates pour en tisser un récit commun.  Plus loin,  ses mini-sculptures flottent, mêlant mémoire humaine et mythologies, appelant à une résilience poétique face au chaos du monde. 

Anna Safiatou Touré observe les gens s’emparer de son jeu vidéo. Sur l’écran, on devine un univers fictif où se jouent des questions bien réelles : archives invisibles, histoire coloniale niée, absence de souvenirs. A côté, des empreintes d’objets suspendent le temps et un dictionnaire fictif offre un espace de réflexion sur la restitution des histoires oubliées.

Emmanuel Van der Auwera plonge le public dans les origines méconnues du numérique avec White Cloud. Le film, réalisé à partir des premières images générées par IA, nous entraîne à Baotou, au cœur de la Chine, dans la plus grande mine de terres rares du monde – ce lieu invisible dont dépend notre monde numérique. La voix d’un mineur, reconstituée par algorithme, résonne dans la salle. Elle raconte notre modernité, entre surexploitation et invisibilité. Plus loin, il interroge le basculement vers la post-vérité avec des vidéosculptures sur la conspiration des Crisis Actors aux Etats-Unis.

Eva L’Hoest joue du vertige numérique avec Under Automata et Inside, qui explorent la numérisation du corps et la boucle de domestication réciproque entre humains et technologies. Elle s’inspire ainsi des chambres de conditionnement animal et des outils biométriques. présente ses impressions 3D, fruits d’une hybridation entre IA et sculpture traditionnelle. 

Gérard Meurant déconstruit les images dans une succession de couches pixelisées imprimées sur des couvertures de survie. Ce big bang visuel se détache en poussière au moindre contact et propose au spectateur une mise à l’écart, comme pour mieux observer ces images qui ont cannibalisé leur propre histoire.

Le cliquetis d’un néon attire vers l’installation de Jonathan Sullam : une image de déflagration s’y consume lentement. En rejouant la disparition progressive de l’image par des installations lumineuses interactives, l’explosion à Raqqa s’efface. Le public s’avance, recule, cherche la distance juste. 

Maëlle Dufour interroge le cycle de fin et de renaissance avec des installations évolutives de céramiques et de verre soufflé. Des céramiques rouges, semblables à des semences toxiques sur le sol, des fûts métalliques rappelant les barils de déchets nucléaires se transforment sous l’action des liquides corrosifs… des symboles d’une humanité oscillant entre espoir et destruction.

Stephan Balleux mêle peinture et IA pour explorer l’impact des algorithmes génératifs sur la création d’images. Il a choisi de laisser l’algorithme errer, sans consigne, pour voir ce qu’il inventerait. Ainsi, il confronte le spectateur à une indécision troublante qui interroge la production et la perception de l’image.

Stéphanie Roland interroge notre rapport au temps. Ses sculptures en forme de carottes géologiques connectent le Big Bang à notre époque en exposant 13 milliards d’années d’histoire astronomique. « Remettre le présent dans une perspective immense peut nous aider à comprendre notre basculement. » Son film Le cercle vide nous conduit au point Nemo, ce lieu mythique du Pacifique où sont envoyés les vaisseaux spatiaux en fin de vie.

Le duo mountaincutters mêle matériaux corrompus, objets souillés, béton brisé et céramiques brutes, évoquant des lieux à la frontière entre construction et destruction. Plus loin, leur travail intègre également une dimension littéraire, avec une écriture poétique qui accompagne et prolonge la réflexion sur l’espace et la matière.

 

Un dialogue fécond

Si Tipping Point met à l’honneur la scène de la Fédération Wallonie-Bruxelles, elle s’ouvre aussi à Marseille en invitant deux artistes locales, Charlotte Gautier Van Tour et Amandine Guruceaga. À la clé, un croisement de regards qui, au-delà des différences esthétiques — la couleur vive des artistes marseillaises, la matérialité plus sourde des Belges —, révèle des similitudes dans la liberté de création.

Le choix de la Friche la Belle de Mai, ancien site industriel devenu emblème culturel marseillais, s’est imposé pour accueillir cette exploration d’un monde en mutation. Grâce à Fræme, association résidente à la Friche, l’exposition bénéficie d’un partenariat solide qui favorise la diffusion internationale des artistes de la FWB, soutenue notamment par Wallonie-Bruxelles International et le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris.

L’exposition Tipping Point visible jusqu’au 28 septembre à la Friche la Belle de mai. Retrouvez les horaires sur https://www.lafriche.org/evenements/tipping-point/

 

 

Exposition Tipping Point à la Friche La Belle de Mai © E. Meunier - WBI
Exposition Tipping Point à la Friche La Belle de Mai © E. Meunier - WBI
Exposition Tipping Point à la Friche La Belle de Mai © E. Meunier - WBI
Exposition Tipping Point à la Friche La Belle de Mai © E. Meunier - WBI
Installation de Sabrina Montiel-Soto pour Tipping Point © E. Meunier - WBI
Installation de Sabrina Montiel-Soto © E. Meunier - WBI
Installation de Sabrina Montiel-Soto © E. Meunier - WBI
Installation de Sabrina Montiel-Soto © E. Meunier - WBI
Installation de Anna Safiatou Touré © E. Meunier - WBI
Installation de Anna Safiatou Touré © E. Meunier - WBI
Installation de Anna Safiatou Touré © E. Meunier - WBI
Installation de Anna Safiatou Touré © E. Meunier - WBI
Installation de Emmanuel Van der Auwera © E. Meunier - WBI
Installation de Emmanuel Van der Auwera © E. Meunier - WBI
Installation de Eva L’Hoest © E. Meunier - WBI
Installation de Eva L’Hoest © E. Meunier - WBI
Installation de Eva L’Hoest © E. Meunier - WBI
Installation de Eva L’Hoest © E. Meunier - WBI
Installation de Gérard Meurant © E. Meunier - WBI
Installation de Gérard Meurant © E. Meunier - WBI
Installation de Gérard Meurant © E. Meunier - WBI
Installation de Gérard Meurant © E. Meunier - WBI
Installation de Emmanuel Van der Auwera © E. Meunier - WBI
Installation de Emmanuel Van der Auwera © E. Meunier - WBI
Installation de Maëlle Dufour © E. Meunier - WBI
Installation de Maëlle Dufour © E. Meunier - WBI
Installation de Maëlle Dufour © E. Meunier - WBI
Installation de Maëlle Dufour © E. Meunier - WBI
Installation de Maëlle Dufour © E. Meunier - WBI
Installation de Maëlle Dufour © E. Meunier - WBI
Installation de Jonathan Sullam © E. Meunier - WBI
Installation de Jonathan Sullam  © E. Meunier - WBI
Installation de Jonathan Sullam © E. Meunier - WBI
Installation de Jonathan Sullam  © E. Meunier - WBI
Installation de Anna Safiatou Touré © E. Meunier - WBI
Installation de Anna Safiatou Touré © E. Meunier - WBI
Installation de Stephan Balleux © E. Meunier - WBI
Installation de Stephan Balleux © E. Meunier - WBI
Installation de Stephan Balleux © E. Meunier - WBI
Installation de Stephan Balleux © E. Meunier - WBI
Installation de Eva L’Hoest © E. Meunier - WBI
Installation de Eva L’Hoest © E. Meunier - WBI
Installation de Stéphanie Roland © E. Meunier - WBI
Installation de Stéphanie Roland © E. Meunier - WBI
Installation de Stéphanie Roland © E. Meunier - WBI
Installation de Stéphanie Roland © E. Meunier - WBI
Installation de Mountaincutters © E. Meunier - WBI
Installation de Mountaincutters © E. Meunier - WBI
Installation de Mountaincutters © E. Meunier - WBI
Installation de Mountaincutters © E. Meunier - WBI
Installation de Mountaincutters © E. Meunier - WBI
Installation de Mountaincutters © E. Meunier - WBI
Installation de Amandine Guruceaga  © E. Meunier - WBI
Installation de Amandine Guruceaga © E. Meunier - WBI
Installation de Amandine Guruceaga  © E. Meunier - WBI
Installation de Amandine Guruceaga © E. Meunier - WBI
Installation de Charlotte Gautier Van Tour © E. Meunier - WBI
Installation de Charlotte Gautier Van Tour © E. Meunier - WBI
Installation de Charlotte Gautier Van Tour © E. Meunier - WBI
Installation de Charlotte Gautier Van Tour © E. Meunier - WBI
Installation de Maëlle Dufour © E. Meunier - WBI
Installation de Maëlle Dufour © E. Meunier - WBI