Myriam Pruvot

Myriam Pruvot - Résidence Comacina 2017 - ©camerae.it
Myriam Pruvot - Résidence Comacina 2017 - ©camerae.it

Myriam Pruvot est vocaliste, artiste sonore et interprète. Le chant, l'oralité et les espaces sonores sont ses principales matières d’exploration. Diplômée des Beaux Arts, elle s’est parallèlement formée à l’improvisation, aux techniques vocales et à la création radiophonique. Elle a collaboré, en tant qu’auteur et interprète à différents projets radiophoniques (pour Alessandro Bosetti, laviemanifeste, Anne-Laure Pigache), musicaux (Sylvain Chauveau, label Wild Silence), et chorégraphiques (avec la dramaturge Céline Cartillier, le collectif Groupenfonction, le ballet nationale chilien El Banch, le metteur en scène Matthias Varenne lors du Festival Actoral) en Europe, Amérique du Sud et Canada.

Elle publie en 2013 un disque mélangeant field recording et musique improvisée intitulé Niebla et poursuivra l’existence de cet album en concert sous le nom de Monte Isola en Belgique, France et Portugal. En 2015 elle rejoint Prototype II, un programme de recherche en composition chorégraphique à l’Abbaye de Royaumont, en tant que compositrice. En 2017 elle est lauréate de la bourse Empreinte de l’ACSR pour une pièce radiophonique intitulée La parole chanceuse. Elle est régulièrement invitée en tant qu’artiste lors d’atelier sur les notions de dramaturgie vocale.


Compte-rendu

Semaine 1

Depuis plusieurs années, je suis familière des séjours insulaires.
Au point d’y avoir consacré un disque entier et de m’être penchée sur plusieurs ouvrages philosophiques et musicaux relatant de cet état particulier au monde, l’isolement géographique. J’avais hâte de découvrir Comacina, notamment car j’ai séjourné sur une île avoisinante sur le lac d’Isao, Monte Isola, dont j’ai emprunté un temps le patronyme.

Je suis arrivée sur l’île avec mon matériel d’enregistrement.
J’avais le souhait de me consacrer à l’écriture et à la composition de chants pour poursuivre un projet de recherche autours du « récit chanté ». En tant qu’artiste j’aime opérer des sauts à la fois temporel et culturel, pour convoquer des esthétiques qui me sont à priori lointaines, mais qui me permettent d’interroger, d’inquiéter mes propres inclinaisons musicales et sonores. Le patrimoine musical traditionnel italien et de la Lombardie en particulier m’intriguait. Aussi car j’attache de l’importance, de par mon statut de musicienne autodidacte, aux formes orales et non savantes.

À mon arrivée il m’a fallu domestiquer ce nouvel espace de travail (la villa) mais aussi la temporalité du lieu : les allées et venues des touristes, la chaleur, la logistique quotidienne entre l’île et la terre. Cette acclimatation a pris un temps non négligeable dans mon processus de travail. J’ai donc choisi de consacrer le début de mon séjour à la lecture, en aménagement progressivement mon "home studio" sur place afin de trouver sa forme "idéale".

 

Semaine 2

Dans mes bagages, plusieurs livres, l’un d’entre eux a teinté plus durablement mon expérience à Comacina. 

Il s’agit du livre de la philosophe Marie Josée Mondzain Confiscation, des mots, des images et du temps, pour un autre radicalité (collection essais des éditions LLL, 2017).

Voici ce qui est écrit sur la quatrième de couverture : "Ne faut-il pas rendre au terme 'radicalité' sa beauté virulente et son énergie politique ? Tout est fait aujourd'hui pour identifier la radicalité aux gestes les plus meurtriers et aux opinions les plus asservies. La voici réduite à ne désigner que les convictions doctrinales et les stratégies d'endoctrinement. La radicalité, au contraire, fait appel au courage des ruptures constructives et à l'imagination la plus créatrice. La véritable urgence est bien pour nous celle du combat contre la confiscation des mots, celle des images, et du temps. Les mots les plus menacés sont ceux que la langue du flux mondial de la communication verbale et iconique fait peu à peu disparaître après leur avoir fait subir torsion sur torsion afin de les plier à la loi du marché. Peu à peu c'est la capacité d'agir qui est anéantie par ces confiscations mêmes, qui veulent anéantir toute énergie transformatrice."

Alors même que je parcourais cet ouvrage, j’ai été frappée des correspondances de ce texte avec celui de Gilles Deleuze L’Île déserte et autres textes (publié aux éditions de Minuit, 1953-1974) dont voici un court extrait "Il y avait des îles dérivées, mais l’île, c’est aussi ce vers quoi l’on dérive, et il y avait des îles originaires, mais l’île, c’est aussi l’origine, l’origine radicale et absolue." Or ce texte apparaît dans l’épilogue de mon disque Niebla, il est lu par le cinéaste belge Boris Lehman.

Rupture, radicalité, imaginaire, vitalité, énergie politique.

En écho à cette lecture du livre de Marie Josée Mondzain, mon quotidien à Comacina était ponctué par ma difficulté à renoncer au flux (ma consultation compulsive d’internet entravé ici par l’absence de réseau), mon sentiment d’impuissance en tant que citoyenne et artiste à donner du sens et du récit aux temps présents, mes interrogations quant à mon positionnement politiquement tout en considérant mon besoin de nuit, d’obscurité, de clandestinité. 

Au milieu même de mon séjour, je me suis observée dans un état de crise et d’insatisfaction.

Cependant j’ai découvert grâce à cet ouvrage, qu’étymologiquement le mot "crise" provenait du mot "mouvement". À partir de cet instant, j’ai fait le deuil de mon studio "idéal" et j’ai accepté, accueilli cet inconfort comme un état de transformation. Parallèlement j’ai reçu la visite de deux jeunes journalistes italiennes, toutes deux à l’initiative d’une revue en ligne, camerae magazine, qui publie des portraits d’artistes dans leur lieu de travail.

 

Semaine 3

Ce n’est qu’au cours de ma troisième et dernière semaine sur l’île de Comacina que j’ai été en mesure de me mettre au travail plus concrètement. Dans l’excitation puis l’urgence du départ à venir.

C’est aussi durant cette dernière semaine qu’une forme de familiarité et de convivialité a été possible avec les autres occupants de l’île. Mon acolyte flamand, Jan de Boom, Angelo le batelier, les deux serveurs du petit débit de boisson de l’île mais aussi les autres formes de vies de l’île… animaux, arbres, végétaux, insectes. La rareté des échanges humains ayant rendu toutes autres manifestations de vies soudainement plus "remarquables".

Je suis parvenue à finaliser trois morceaux mais surtout à prendre du recul sur l’objet discographique que je fantasmais. Enfin, j’ai décidé que le prochain projet auquel je me consacrerais serait une forme "opératique" dont le propos serait issu de ce livre, Confiscation, des mots, des images et du temps. 

 

Remerciements

Je remercie ici la Fédération Wallonie-Bruxelles d’avoir permis ce séjour possible. Ainsi que Sandra Nicouleau et Fabianna Vitta pour son organisation.

 

Liens

 


Dernière mise à jour
13.10.2017 - 10:22

Retour