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Le Laboratoire des idées: Entretien avec Aurélien vander Straeten

Aurélien vander Straeten, chercheur postdocorant au Massachusetts Institute of Technology
Aurélien vander Straeten, chercheur postdocorant au Massachusetts Institute of Technology

Entretien avec le Dr. Aurélien vander Straeten, chercheur postdocorant au Massachusetts Institute of Technology, Langer Lab – Interface of Biotechnology and Materials Science

Le Laboratoire des idées

« Nos histoires peuvent être singulières mais notre destination est commune »
Président Barack Obama, 2008
 
Partant du principe qu’une crise mondiale demande une réponse réfléchie et coordonnée à l’échelle de la planète, Wallonie-Bruxelles International, grâce à son réseau d’Agents de Liaison Scientifique (ALS), a décidé de rassembler les idées et les travaux d’experts de tous les domaines scientifiques confondus.
 
Ces experts sont des professeurs, des doctorants, des médecins, des ingénieurs, des économistes, des architectes, des éducateurs, des juristes, des designers, des psychologues. Ils proviennent et évoluent donc dans des univers très différents mais partagent deux caractéristiques communes:

  • De par leur formation académique ou leur expérience professionnelle, ils sont liés aux institutions de recherche de la Fédération Wallonie-Bruxelles
  • Leurs idées ont un impact direct ou indirect sur la compréhension, la réponse ou la relance vis-à-vis de la crise globale causée par l’épidémie de Covid-19

 

L'entretien avec Aurélien vander Straeten

Pourriez-vous vous présenter et expliquer brièvement votre lien avec les institutions de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Afin de briser la glace, pourriez-vous citer un élément vous correspondant mais qui ne figure pas sur votre CV professionnel ?
 
Je suis actuellement chercheur postdoctoral dans le laboratoire du Prof. Langer au MIT (Boston, USA). Bioingénieur de formation, j’ai réalisé ma thèse de doctorat à l’UCLouvain sous la supervision du Prof. Dupont-Gillain, avant de m’envoler pour les États-Unis. C’est pendant ma thèse de doctorat que j’ai acquis l’essentiel de mon expertise, qui se situe à l’interface entre la science des matériaux et la biologie. Depuis mon arrivée au MIT, je me suis concentré sur des applications biomédicales.
 
Le laboratoire du Prof. Langer est particulièrement spécialisé dans le développement de nouvelles méthodes de délivrance de médicaments. C’est-à-dire que nous ne développons pas l’agent actif du médicament, mais nous imaginons de nouvelles façons de le « délivrer à bon port ». Cela implique par exemple de stabiliser l’agent actif, de l’encapsuler dans un véhicule pour cibler un organe particulier, ou encore de concevoir des systèmes qui relâchent cet agent de manière contrôlée et continue pour le traitement de maladies chroniques. J’ai donc la chance d’évoluer dans un environnement extrêmement multidisciplinaire, en travaillant avec des chimistes, des ingénieurs, des biologistes et des médecins. La Fédération Wallonie-Bruxelles participe à financer ce séjour de recherche via la bourse WBI.World.
 
Pour briser la glace, je dirais que je suis un accro des sports de montagne. Chaque été, j’escalade des sommets dans les Alpes, et chaque hiver, je randonne à ski dans la Haute-Maurienne. J’ai évidemment emmené mes skis à Boston, où la neige ne manque pas, bien que les pentes ne soient pas aussi belles !
 
Parlez-nous de vos travaux et de leurs liens, directs ou indirects, avec la crise due à l’épidémie de Covid-19.
 
Mon projet de recherche vise à développer des méthodes de délivrance de vaccins, par exemple contre le VIH et le poliovirus. Dans le contexte actuel, nous avons réorienté nos recherches au sein du laboratoire afin de nous concentrer sur la délivrance d’un vaccin contre le SARS-CoV-2, en utilisant des technologies en développement pour d’autres vaccins. Nous nous concentrons sur deux méthodes :
 
- La première consiste à utiliser un système de patch de microaiguilles pour délivrer le vaccin sous la peau. Mise à part la potentielle augmentation de réponse immunitaire, cette méthode a l’avantage de ne pas nécessiter d’intervention de médecin pour administrer le vaccin. Dans la mesure où des centaines de millions de personnes devront se faire vacciner en peu de temps, cela est non négligeable. Nous concevons d’ailleurs un processus automatisé pour fabriquer ces patchs à grande échelle ;
- La seconde méthode consiste à encapsuler le vaccin dans des microcapsules qui relâchent leur contenu de manière pulsatile et à intervalles contrôlés. Cela permet de booster la réponse immunitaire en simulant des rappels de vaccination.
 
A court terme, nous espérons contribuer au développement d’un vaccin contre le SARS-CoV-2. A plus long terme, ces nouvelles méthodes de délivrance devraient permettre de déverrouiller des innovations technologiques jusqu’alors limitées par l’observance des patients ou l’inconfort généré, en réduisant par exemple le nombre d’injections. Notre objectif final est d’améliorer les techniques de vaccination pour les rendre plus efficaces et plus accessibles à travers le monde, en particulier dans les pays en développement.
 
La situation actuelle et votre expérience personnelle de celle-ci affectent-elles vos travaux de recherche passés ?
 
Pas vraiment. Cette crise valide, je pense et j’espère, l’importance de notre domaine de recherche. 
 
Entre le début de ma thèse de doctorat et mon post-doctorat, mes travaux se sont progressivement orientés vers de la recherche translationnelle, c’est-à-dire ayant pour objectif d’apporter une solution médicale concrète (par exemple des pansements antibactériens ou des vaccins). A un niveau plus personnel, et d’autant plus depuis le début de la pandémie, cette évolution donne du sens à mon quotidien et me motive à persévérer, en espérant apporter une petite pierre à l’édifice global.
 
Plus concrètement, pouvez-vous citer les dispositions professionnelles que vous prenez et les axes de recherche que vous pensez aborder à l’avenir ?
 
Si ce n’est que mon séjour au MIT risque d’être prolongé afin de compenser le temps « perdu » depuis le début de la pandémie, je ne sais pas encore si cette crise affectera l’orientation de mes recherches à plus long terme.
 
Cela dit, la situation actuelle me pousse à développer des partenariats et collaborations toujours plus nombreux avec d’autres acteurs ou instituts de recherche. Cela permet de profiter d’une vision plus systémique des problématiques, chaque discipline contribuant au projet global. Aucun vaccin ne verrait le jour sans les interventions de médecins, immunologues, chimistes, biologistes, ingénieurs et autres professionnels de la santé, pour ne citer qu’eux.
 
Au niveau individuel et partant toujours de votre domaine d’expertise, pensez-vous dédier du temps et de l’énergie à préparer l’après-crise ?
 
Comme je l’ai mentionné, dès le mois de janvier, notre laboratoire a réorienté une partie de ses activités pour apporter des solutions à la pandémie. J’espère, évidemment, que nous contribuerons au développement d’un vaccin, dont la disponibilité (ou pas) façonnera « l’après-crise ».
 
Maintenant à l’échelle sociétale, quelles sont les réponses et changements globaux que vous estimez nécessaires vis-à-vis de la crise actuelle ?
 
Si nous voulons espérer un retour vers une situation stable, vacciner la population s’avère nécessaire. Je m’inquiète qu’on parle d’avoir une technologie validée d’ici douze mois, alors que ce délais ne considère « que » le développement de la technologie, et de manière très optimiste. Aucun vaccin contre un coronavirus n’a jamais été commercialisé. Parmi les candidats vaccins actuels, une grande partie repose sur des technologies qui n’ont jamais été commercialisées pour d’autres vaccins. Parvenir à un créer un vaccin qui soit efficace et sûr, et puisse être produit à grande échelle, le tout en un temps record, est un challenge de taille. D’ici là… le virus est comme un loup dans la bergerie.
 
Nous devrions également nous préparer à mettre en place une campagne de vaccination globale efficace. Cela implique de produire le vaccin à grande échelle, de le distribuer à travers le monde, de vacciner les populations et de faire des suivis de vaccination individuels. Cela nécessite aussi des interactions fortes entre différents acteurs : de la santé, sociaux, de communication, etc. Ce ne sera pas aisé, surtout dans des pays en développement ou en guerre.
 
Par ailleurs, un changement global que j’estime nécessaire est de ne pas retourner à la situation pré-pandémie. Le nombre et l’intensité de ce type d’épisodes n’a fait qu’augmenter durant les cinquante dernières années, et les activités humaines en sont la cause. Si nous rétablissons une situation identique, la question ne sera pas si, mais quand la prochaine pandémie arrivera. Si, au contraire, nous souhaitons limiter ce risque, il s’agit de repenser nos façons de nous déplacer, consommer, interagir avec notre environnement, etc. Justement, un autre grand enjeu actuel pose les mêmes observations et nous invite, lui aussi, à plus de résilience…
 
Quels conseils donneriez-vous à chacune des catégories de personnes suivantes : les étudiants, la prochaine génération de chercheurs dans votre domaine et les jeunes entrepreneurs ?
 
Aux étudiants, je dirais : « éveillez votre esprit critique et votre pensée systémique, et osez poser des questions ». Aucune réponse simple n’est à la mesure des enjeux globaux actuels (pandémie, mais pas seulement : changement climatique, perte de biodiversité, etc.).
 
Aux futurs chercheurs, je dirais « apprenez à collaborer, et osez sortir de votre zone d’expertise ». Le monde est interconnecté et la science est multidisciplinaire, tous les domaines interagissent. Y prendre part est fascinant.
 
Aux jeunes entrepreneurs, je dirais « créez une équipe trans- et multidisciplinaire », pour apporter une réponse la plus systémique et généralisable possible aux enjeux qu’ils identifient. Et, surtout, « ne créez pas de ‘solution in search of a problem’ ».

Dernière mise à jour
16.09.2021 - 09:21
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