GRATON Zeno

Zeno Graton est un jeune réalisateur belge. Il a scénarisé et réalisé "Mouettes" en 2013 et "Jay parmi les hommes" en 2015. Ces 2 fictions ont été sélectionnées au Festival International du Film Francophone de Namur, dans la catégorie "Courts métrages".


Excommuniée et maudite en 1169 par un évêque rageur, Comacina porte son lot de saccages, d'incendies criminels, de guerres sans merci. Pour apaiser le mauvais sort, Benvenuto Puricelli, le directeur de l'unique restaurant de l'ile, au menu inchangé depuis 1947, conte la tragique histoire de "son" ile. Amplifié par un micro de crooner, illuminé par la mise a feu du café au brandy, métaphore des bûchers moyenâgeux, ce rituel quotidien perce le silence de l’île, traverse l’espace et égrène les soirées solitaires des artistes en résidence.

C'est sur cette ile que j'ai eu l'honneur de passer trois semaines au mois de septembre 2015. Avec pour principaux compagnons les hérons, les canards, les lapins par dizaines, les grenouilles, les lézards et de nombreux touristes curieux de cet étrange artiste occupé toute la journée a rédiger dans sa maison de verre, exposé comme une pièce de musée.

J'ai été sélectionné pour participer à cette résidence grâce à un projet de scénario de long métrage de cinéma. L'écriture d'un scenario, surtout au début, est un processus particulièrement sensible car il pose les bases d'un travail qu'on se propose de perpétuer pendant plusieurs années, le temps de la création d'un film. Il s'agit donc d'être très à l'écoute de ce désir, ce fameux désir profond, qui nous guide avec force et plaisir si on est prêt à l'écouter. J'étais donc ravi d'être entouré d'animaux, de nature, d'un lac et de beaucoup de silence, surtout, pour me connecter de manière "optimale" a ce désir. Ça a bien marché. 

Les trois semaines sont passées vite, en réalité, car l'écriture oblige à se mettre dans un temps non assujetti à l'heure qu'il est, à un quelconque rendez-vous, une quelconque contrainte. Le temps de l'écriture nous met hors de nous-mêmes pour que les émotions traversent la surface de notre peau et s'impriment sur le papier. Ça demande une extrême disponibilité physique et donc un arrêt total des contingences matérielles extérieures. 

Néanmoins, ma concentration est plus efficace le matin, je le sais, et ça c'est différent pour tout le monde. Plus la journée avance, plus des pensées extérieures au film m'assaillent.

Dès lors, mes journées commençaient par une session d'écriture, jusqu'au déjeuner. L’après-midi était consacré à la lecture ou à la relance de contacts, ou au suivi administratif de mon court-métrage "Jay parmi les hommes".

Le long-métrage que j'écris tourne autour des IPPJ, Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse. Ce sont des établissements situés en Wallonie qui accueillent des jeunes délinquants pour des séjours relativement courts. Il s'agit d'un enfermement, ouvert ou fermé, à visée restauratrice, éducationnelle, pédagogique, punitive parfois, émancipatrice dans l’idéal. C'est un secteur vaste à explorer, et qui repose sur une base réelle bien concrète et quasi documentaire. J'ai donc rencontré en amont différents acteurs de ce service public, le Service de Protection de la Jeunesse. Le séjour à Comacina a permis de traiter ces notes, prises lors de ces interviews, pour les intégrer au récit. Ce fut un travail long car les entretiens étaient nombreux. J'ai pu aussi contacter de nouvelles personnes, fixer de nouveaux rendez-vous pour mon retour, ainsi que relancer des contacts précédemment acquis.

Durant le séjour, en bénéficiant d'un rare temps et d’un rare espace enfin disponibles, j'ai pu m'atteler à la lecture de plusieurs ouvrages en vue d'alimenter le récit. Ainsi j'ai pu découvrir le fabuleux livre d'Alice Jaspart : Aux rythmes de l’enfermement, thèse sur les IPPJ wallonnes. Elle a passé 4 ans sur le terrain et livre un récit d’une force et d’une sensibilité terrassantes, qui m’a hautement inspiré pour mon histoire. J’ai également pu terminer le règlement, les dossiers pédagogiques et des comptes rendus d’AG des 5 IPPJ belges, ce qui représente une documentation assez volumineuse.

Par ailleurs j'ai pu lire d'autres ouvrages, lié d'assez près aux concepts et idées que j'aimerais dramatiser pour ce film : La Communauté qui vient de Giorgio Agamben, La Communauté inavouable de Maurice Blanchot, La Communauté désavouée de Jean-Luc Nancy, L’Ennemi déclaré de Jean Genet, Eloge du conflit de Michel Benasayag et Angélique Del Rey, A nos amis du Comité Invisible, Fragilité de Jean-Claude Carrière.

Je travaille avec un co-scénariste et pour chaque livre, j'essaie de faire une micro-synthèse, et des transcriptions de passages signifiants pour qu’on se nourrisse au fur et à mesure de nos lectures, sans imposer à l’autre la lecture intégrale de chaque ouvrage découvert.

J'ai également eu la chance de faire la connaissance des deux artistes présents sur l'ile à ce moment là : Johan De Boose et Pietro Weber. A trois sur une ile au milieu d'un lac, la glace est vite brisée autour d'un gros morceau de parmesan et d'un verre de vin rouge. Johan nous a parlé du livre qu'il terminait et de la pièce qu'il répétait, un monologue qu’il interprètera à Bruxelles en octobre, que je compte bien découvrir. L'écriture d'un roman et d'un scénario possèdent des points communs et divergents et il fut très intéressant de les confronter, et d'apprendre sur nos pratiques respectives.

Pietro est un sculpteur, qui a beaucoup dessiné sur l'ile, en vue de préparer une sculpture qu'il créera dans son village, avec du matériel indéplaçable sur l'ile. Je suis reparti avec deux livres monographiques de ses œuvres, qu'il m'a offert. Son travail surprend par sa gravité et sa naïveté mélangées, comme si la beauté résidait dans la certitude que la vie est simple, symétrique et pourtant terrible. Pietro a également été un bon compagnon de balade, d'échanges stimulants autour de nos pratiques, angoisses, désirs.

Ces échanges sont hautement nécessaires pour matérialiser et vivre un extérieur, pour ensuite être capable de réinvestir l'intérieur, c'est-à-dire revenir a l'écriture solitaire, destructrice et réparatrice. Cette résidence a très certainement été une pierre angulaire, dont nous avons besoin en tant qu’artiste : des étapes repérables dans le temps et l’espace qui jalonnent un long processus de travail. Cette expérience solitaire, cette liberté "cloisonnée" m’a chargé sensiblement d’une expérience d’enfermement relatif qui a nourri le récit que j’écris, celui d’un adolescent enfermé dans un endroit "où on lui veut du bien".

Merci encore à WBI, Sandra Nicouleau, Solenne Visart, Elisa, Erick, Sara, Johan, Pietro et Arieh

 


Dernière mise à jour
29.09.2015 - 10:23

Retour