SAMBI Joëlle

Joëlle SAMBI est née à Bruxelles. A 5 ans, elle suit sa famille qui s'installe à Kinshasa où elle grandit. En 2001, elle rentre en Belgique et y poursuit des études de journalisme à l'Université Libre de Bruxelles. Ses textes connaîtront un premier succès en 2003 avec "Je ne sais pas rêver" qui remporte le troisième prix du concours d'écriture organisé par l'asbl texto. Deux ans plus tard, elle occupe la deuxième place du Prix du Jeune Ecrivain Francophone pour son "Religion ya Kitendi", publié en 2005. Son dernier livre, "Le Monde est gueule de chèvre" publié aux éditions Biliki,  nous plonge dans le sac de noeuds incroyable de l'Afrique noire, aux côtés de ceux qui n'ont plus rien à perdre, ballottés entre guérilla et pouvoir corrompu.


La résidence à Comacina été sollicitée afin de poursuivre et achever la rédaction de mon roman "Du sel sur nos blessures", une référence volontaire au livre de Daniel Vangroenweghe "Du Sang sur les lianes", les moignons en moins. Quoique. C’est l’histoire d’une voracité barbare qui fait des petits et mène au chaos. Une hBilikiistoire universelle : ce qui a été, est et sera, car même l’horreur n’est pas originale.

L’histoire

C’est le récit – premier volet d’une trilogie ? – des premières heures d’une révolution qui se fomente et se propage comme le parfum des fleurs, comme la gangrène...

L’action se situe au coeur de Mpota, ville plaie béante d’où gronde la colère depuis trop longtemps. Mpota, c’est à la fois toutes les villes et aucune. Un lieu singulier mais sans identité propre. Une ville africaine qui n’a rien à envier à Bruxelles : les injustices et les envies de changement de ses habitants sont aussi tenaces qu’inaudibles. Comme ce fut le cas dans mon roman précédent, je m’attache à ne pas situer le lieu où se déroule l’histoire. Juger serait alors trop facile. Bien que mes racines congolaises nourrissent mon imaginaire, selon l’endroit d’où j’écris, se forme alors un pays, ses paysages, son climat une ambiance, une atmosphère et des odeurs. De sorte qu’il devient possible de transposer la trame dans n’importe quelle partie du monde.

L’île de Comacina offre un cadre exceptionnel tant par sa beauté. Par son calme.

Et par la fureur de ses orages.

Les paysages qui entourent cette île mystérieuse ont réellement nourrit mon imaginaire et contribué au travail d’écriture qui s’est doucement imprégnée des lieux.

A mesure que les chapitres s’étoffaient, j’ai clairement ressenti l’influence des lieux sur ma création : l’atmosphère, les orages, les formes la verdure. Tout cela a permis d’asseoir une ambiance, de donner une direction au récit qui n’était pas nécessairement celle à laquelle je m’attendais, ainsi un lac est apparu sur le bord de la ville de Mpota où se déroule le récit.

"Des fumées d’enfer s’échappent des montagnes qui logent le lac. Elles sont si épaisses et par temps d’orage, le ciel est si bas parfois, que seul un oeil averti peut distinguer la fumée des nuages. Contrairement à la barrière de villas, en contrebas, très peu d’habitations occupent ce flanc de montagne. La propriété du colonel Kayembe est entourée d’un immense domaine forestier, c’est une sorte de champignon intrus surgit de nulle part au milieu de la végétation. De la terrasse de la maison sur trois niveaux, on aperçoit la piscine et plus loin, en contrebas, le lac démesuré qui prend la couleur du ciel. A l’arrière de la propriété, un H d’hélicoptère et au bout du jardin, sur la gauche, une petite barrière s’ouvre sur un petit chemin discret, sinueux qui descend jusqu’au Lac. Au milieu du chemin, un gigantesque arbre barre la route, il a des racines entrelacées, recouvertes de mousse tellement noires qu’on aurait dit un nid de couleuvres vipérines. La légende raconte que le crâne de la dernière femme chamane a été enterré à cet emplacement précis, que son aura veille sur les habitants de la montagne. Bons ou mauvais, elle veille sur eux car à longueur d’année ils résistent au cri strident des morts sans sépulture qui peuplent le sous-sol. Et pour cause, jamais, la propriété du colonel n’a fait l’objet de la moindre attaque même dans les moments les plus troubles que connu la ville. Il faut contourner l’arbre par la gauche et continuer à travers les fourrées pour atteindre vers le Nord, un discret embarcadère, en bordure du lac. Cinq minutes en bateau du pays voisin. La maison du colonel est construite comme un mirador : il suffit de se tenir à un point précis du jardin pour avoir une vue sur l’ensemble de la vallée. De fait, personne ne pouvait atteindre les lieux par voie terrestre, par air ou par eau sans que les gardes ne sachent déjà de qui il s’agit et que la cuisine ne soit avertie des personnes supplémentaires qui s’invitent à dîner".
Extrait chapitre 7

L'inspiration

En arrivant à Comacina, la trame de mon roman était claire et je n’avais qu’un seul leitmotive: écrire, écrire, écrire. Possibilité rare et précieuse dans le quotidien citadin habituel. La villa sobrement décorée et fonctionnelle m’offrait un espace de travail ouvert, aéré, propice à la création. De plus, la nature luxuriante et belle imposait un rythme de quasi naturel.

Et presque sans m’en rendre compte, au fil des jours, et à mesure que l’atmosphère mystérieuse de l’île s’immisçait dans mes réflexions, j’ai lâché prise : là où le récit bloquait, il n’était plus question d’angoisses de la feuille blanche, mais seulement de pause naturelle dans un cycle créatif qui suppose un temps d’écriture pur, mais aussi des temps d’abandon à la rêverie, à la réflexion, à lecture ou simplement à l’écoute de la nature.

Curieusement, j’ai tout particulièrement apprécié les orages de Comacina, non pas parce qu’il me confinait à l’intérieur, mais parce qu’au contraire, ils étaient à chaque fois différents et offraient un éventail de nuances d’odeurs, de couleurs et de sons. Trouver dans toute cette pluie, ce soleil et cette nature, des résonnances qui rappellent un lieu, un personnage, une action. Finalement, l’inspiration est venue de toutes ces choses qu’offre Comacina.

Rencontres et influence

Il est difficile de faire ici état des influences que peuvent avoir l’environnement, l’atmosphère, le lieu dans lequel on se trouve pour écrire. Surtout lorsque ce lieu est associé aux vacances, à la détente. Par contradiction, mes écrits ont été sombres alors le ciel à l’extérieure était clair et lumineux.

Comacina est une île, y vivre confine, renvoie inexorablement vers soidmême. L’insularité concrète ravive les ébullitions intérieures. C’est d’autant plus vrai en écriture, travail qui exige un retour vers soi, une coupure au monde extérieur. Le temps passé sur l’île a été très solitaire. J’ai été beaucoup seule avec mes personnages qui prenaient vie sous la frappe de mes doigts.

"Au signal, ils s’arrêtèrent. Ensemble. Synchro. C’était bien plus fort qu’un choeur d’église. Ils étaient un, unique, la force, le bras de la nation. En face d’eux une foule anxieuse, bigarrée, s’arme petit à petit de pierres et de morceau de bois. Naturellement les tranchées apparaissent. Les jeunes du quartier s’organisent, font passer la nouvelle : Mpota est sous siège. La Police se déploie lentement. Chacun sait où se mettre précisément. Le Policier occupe son espace. Il a plutôt une bonne place. Il faut le temps que toutes les rues soient couvertes.Ca dure une heure, deux. Puis, nouveau signal et là, ils fondent sur l’ennemi en poussant de grand cris. Le policier frappe fort, très fort. La matraque comme prolongement naturel de son corps, il frappe sans distinction, tout ce qui dépasse, se présente face à la visière teintée de son casque. Il sent le plaisir assaillir son entre-jambe, la sève toute prête. Il est vivant, avec ses camarades, il fend la foule, comme on se fraye un chemin dans la jungle à coups de machette. Autour de lui des branches, des arbres difformes, des lianes meurtrières, il doit avancer, continuer d’avancer, ne pas se laisser happer la végétation hostile, les animaux féroces. Frapper toujours plus fort et sentir dans le tremblement de son bras celui des os qui cèdent. Ce qu’il peut aimer ça Cette mêlée en colère, ce clash physique. Cela dure un temps trop court. Quand enfin il atteint sa nouvelle position, il ouvre les yeux et se retourne pour découvrir une immense friche maculée de sang et de cris. Le quartier est bouclé. A présent il faut attendre".
Extrait chapitre 15

Quelques rencontres inattendues avec des touristes italiens curieux ont donné lieu à un apéro vin blanc et un petit cours sur la flore particulière de la région. Petit instants légers.

Des trois villas d’artistes sur l’île, seule deux étaient occupées : l’une par moi et l’autre par Philippe'Van'Damme, artiste vidéaste, néerlandophone. Nous avons beaucoup parlé de nos travaux respectifs, de l’île et ses mystères, du monde à refaire et comme une ritournelle, nous sommes sans cesse revenus, dans nos conversation sur la nature si particulièrement belle du lac, de son île et des environs.

En conclusion, je peux dire que le séjour sur l’île de Comacina m’a permis d’avancer de manière substantielle sur mon roman. Celui-ci a pris des détours inattendus, certes, le roman sera enfin et très certainement sera prêt pour 2015. Pari réussi

Vidéo

joellesambi.tumblr.com

Remerciements

Merci à Wallonie Bruxelles Internationale pour cette belle opportunité.
En particulier à Sandra Nicouleau pour sa patience.

Merci à Peuple et Cultures Marseille qui a donné l’impulsion et l’envie de prendre cette résidence.

Merci également à Caroline Stavaux pour son soutien et son magnifique dessin de couverture.

Merci à Muriel Guigue pour son aide et sa relecture attentive et sans concession.


Dernière mise à jour
15.10.2014 - 10:38

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