OUTERS Jean-Pierre

Je suis né en 1953 à Mortroux (Province de Liège). Dès la fin de mes études de philologie romane, j'ai occupé de manière presque ininterrompue différents types de poste liés à l'enseignement du français dans des pays en voie de développement: Algérie, Burundi, Comores (Océan Indien). Ensuite j'ai travaillé durant sept années en Chine (professeur de français langue étrangère dans des universités), puis seize au Vietnam (Laos, Cambodge) comme coordonnateur de projets et de programmes. J'ai publié deux livres de voyage: La tête ailleurs (sur la Chine, 1995, ce livre sera réédité en septembre prochain aux éditions  Aden), et Passer au Sud (sur le Vietnam, éditions Aden, 2010). Je travaille actuellement comme coréalisateur sur un projet de film documentaire sur la Chine (La tête ailleurs) à partir de mes images filmées en 1987-1988 et de mon livre, parallèlement à la rédaction d'un essai de voyage portant sur le Retour, Un Voyage à l'envers.

En 2015, suite à la résidence d'écriture sur l'Isola Comacina, Jean-Pierre Outers a finalisé son essai, "Un voyage à l'envers". Son ouvrage est édité aux éditions de l'Harmattan (Paris).


Assurément, WBI bénéficie là d'un outil exceptionnel. Un vrai privilège donc, que de bénéficier d'une telle résidence d'écriture pour poursuivre et terminer mon travail de rédaction d'un essai de littérature de voyage (Un Voyage à l'envers), dont l'argument est le suivant: le retour est, en réalité, le moment fort du voyage. Que se passe-t-il une fois le voyage terminé, lorsque l'on reprend ce que l'on avait quitté?

L'Isola Comacina garantissait certes l'isolement total que peut requérir pour certains l'écriture, mais elle constituait aussi une des figures mêmes liée au retour, celle de l'ermitage. L’île est en effet un lieu clos, en retrait du monde, à l'écart des références, les nôtres, chahutées par de longues immersions dans des cultures différentes. Une sorte de refuge donc, qui permet le retour aux choses primaires, essentielles, une remise à plat, avant de poursuivre. Dans ce sens, elle représente également un non lieu, lequel m'a permis de m’immerger d'avantage encore dans les pages en train de s'écrire.

Le logement, beau et sobre par ses lignes épurées, donnant sur les eaux du Lario, la lumière sans cesse changeante, la berge opposée "inaccessible", le ciel clair ou tacheté de filaments nuageux aux formes imperceptiblement progressives à la dérive, participent également à cette remise à plat, à la fois propice à la détente et à la concentration. Aussitôt les rares promeneurs retournés sur le continent, les lièvres, faisans, canards sauvages, mouettes, nous font en outre côtoyer dans une rare intimité quotidienne, digne du célèbre documentaire de Jacques Perrin, Le peuple migrateur, un monde éloigné de celui dans lequel nous avons coutume de nous épuiser quelque peu d'ordinaire.

Chose étrange aussi que ce bout de terre de Comacina, concédé un moment à Albert 1er, où flottent toujours fièrement les drapeaux italien et belge, à l'exclusion de tous les autres. Quelques jours après mon débarquement sur l'îlot, on y lâche, dans la résidence voisine, une sympathique artiste flamande, émotive et quelque peu brouillonne en apparence. Nous voilà donc (à part un invisible gardien) les deux seuls   résidents humains de l'île.

Sommes-nous placés là dans le cadre d'un quelconque programme? Faisons-nous, observés par une armada de scientifiques de laboratoire, par un sociologue, voire un politicien, l'objet d'une expérimentation obscure? Que va-t-il se produire d'ici la fin des trois semaines prévues, la promiscuité et la solitude éventuelle se faisant chaque jour plus pesantes? Dans quelle langue allons-nous communiquer, si le contact a lieu? Allons-nous tracer à travers l’îlot une nouvelle frontière linguistique, allons-nous nous battre ou nous dévorer? A moins que, prenant exemple sur les canards sauvages peuplant l'île, qui s'assemblent volontiers le temps de quelques secousses en se mordillant la nuque, sous nos yeux et même ceux de leur progéniture, nous ne finissions par nous accoupler, redonnant peut-être ainsi espoir à la Belgique entière?

 


Dernière mise à jour
11.12.2015 - 09:24

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