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Sophie Whettnall - Une mise en lumière de nous-même

Copyright Philippe De Gobert
Copyright Philippe De Gobert

Lauréate du Prix de la Jeune peinture il y a 20 ans, Sophie a exposé dans le monde entier. Connue pour sa vidéo "Shadow Boxing", elle a choisi de la présenter aux côtés de dessins et d'installations dans le cadre de sa 1ère exposition en Belgique.

Compte tenu de sa complexité et des contraintes physiques qu’il implique, le montage de cette exposition semble faire partie intégrante de votre processus créatif. Est-ce une volonté affirmée de vous impliquer à ce point dans cette partie du travail ?

J’ai mis beaucoup de temps à le réaliser, mais c’est vrai. Tant dans mes vidéos que dans mes installations et mes dessins, je cherche à vivre l’instant, en pleine conscience. Pour cette exposition, j’ai créé, entre autres, une forêt sur base de panneaux de bois perforés. Un travail fastidieux et intense sur le plan physique qui, pourtant, dégage une impression de raffinement. Le bois ressemble à une dentelle. J’aime cette dualité entre la force de la démarche et le côté fragile des panneaux perforés et rétroéclairés.
 

Dans ce cas précis, le ‘making of’ est tout aussi fascinant que l’œuvre proprement dite. Aimez-vous inviter le public dans les coulisses de votre processus de création ?

Oui, même si mon désir de partage est très instinctif. J’ai récemment pris conscience de l’importance de prendre du plaisir dans la création. Dans notre société chaotique et chahutée, ce plaisir est fondamental. Le communiquer au public l’est aussi.
 

Vous le communiquez dans le cadre de vos expositions évidemment, mais aussi par le biais des réseaux sociaux ? Quelle place joue Instagram dans votre travail ?

Encore une fois, je n’ai pas vraiment élaboré de stratégie à ce niveau. J’envisage Instagram comme une série de cartes postales que je poste de manière instinctive. J’y montre notamment des images de mes voyages, l’une de mes principales sources d’inspiration.
 

Vous voyagez beaucoup ?

Avant oui. J’étais une artiste plutôt nomade. Aujourd’hui, depuis que je suis devenue mère, beaucoup moins. Les paysages du Nord continuent néanmoins d’alimenter mon univers créatif et ma réflexion artistique.
 

C’est aussi dans cette idée de multi-culturalité et de voyages intérieurs que vous avez choisi de faire dialoguer vos œuvres avec celles de l’artiste Etel Adnan ?

Confronter ses origines nomades aux miennes et créer un rapprochement autour de la thématique du déracinement, un autre thème commun à nos deux univers, m’ont en effet d’emblée intéressée. Intemporelle et universelle, la peinture d’Etel Adnan est hypnotisante. 
 

En parlant d’universalité, revendiquez-vous votre belgitude en tant qu’artiste ?

Je n’ai jamais revendiqué mon appartenance belge étant aussi d’origine suédoise, mais j’apprécie le caractère multiculturel de notre petit pays, ainsi que le sens du décalage de ses habitants. En tant qu’artiste, cette position très particulière – toujours un peu en marge – est source de liberté et d’audace, deux valeurs essentielles à mes yeux.
 

L’audace serait-elle votre leitmotiv ?

Si on ne prend pas de risque en tant qu’artiste, à quoi bon ? Pour cette exposition, j’ai choisi de me confronter à l’espace, d’oser les pièces et les installations d’envergure et de proposer un parcours avec un double sens de lecture. Dans mon travail, j’ai besoin d’ouvrir des portes, de tester de nouveaux matériaux, de me confronter à l’inconnu. Cette approche "sans filet" est une nécessité qui, j’espère, permet au public d’accéder à une zone de liberté qui se fait de plus en plus rare dans notre société.
 

Prendre des risques, ça passe aussi par le fait d’exposer votre travail à l’étranger ?

Étrangement, je dirais que c’est plutôt le contraire. Même si exposer hors de nos frontières implique de me confronter à une autre culture sans savoir si les gens adhéreront à ma lecture des choses, le côté plus anonyme d’une ville où personne ou presque ne me connaît est moins angoissant.

 

Lorsque vous abordez des thématiques très profondes (la violence, l’écologie), votre travail est cependant toujours empreint d’une certaine douceur.

Même lorsque le message est fort, j’aime l’envelopper de douceur, de légèreté, voire d’une certaine sensualité. Cette première lecture est une sorte de pilule magique qui me permet, si le spectateur est prêt, de traduire une réalité beaucoup plus dure. Cette exposition flirte constamment avec les extrêmes : la fraîcheur d’installations poétiques et la violence de certaines pièces, dont "Shadow Boxing" que j’ai décidé de rendre visible depuis la rue. Je voulais proposer une lecture très littérale de cette violence dont il est question dans la vidéo.
 

Cela en fait-il une œuvre féministe ?

Je pense que les discours purement féministes sont extrêmement limitants. Pour ce rendez-vous, je me suis en effet entourée de femmes: Etel Adnan, mais aussi Carine Fol, commissaire de l’exposition. Mais c’est un hasard, le fruit de belles rencontres, plutôt qu’un choix délibéré. Parler constamment d’égalité hommes/femmes ne fait pas avancer le débat. Ce qui compte à mes yeux, c’est le travail. À 45 ans, j’ai l’impression d’avoir enfin trouvé mon langage, que je ne qualifie pas forcément de féminin, plutôt de personnel et que j’espère continuer à faire évoluer le plus longtemps possible. Je me vois bien à 80 ans, toujours dans mon atelier. Je n’ai pas de stratégie, ni de plan de carrière à long terme. Si ce n’est, peut-être, de vieillir dans le travail.
 
"La banquise, la forêt et les étoiles", Centrale for Contemporary Art, Bruxelles, Belgique, jusqu'au 4 août ! Cette exposition a été réalisée par la ville de Bruxelles, en collaboration avec la galerie Michel Rein à Bruxelles, couplé à la sortie d’un livre aux éditions du Fonds Mercator. Les galleries représentants son travail à l’international sont: galleria Continua, San Gemignano – Michel Rein, Paris-Bruxelles – Vera Cortês Agency, Lisbonne.
 
Interview par Marie Honnay
 
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Dernière mise à jour
24.07.2019 - 11:37
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